Ancien nageur, Eric Lahmy est journaliste, écrivain, rédacteur en chef, et reporter. Il anime depuis 2013 Galaxie-Natation, un blog dédié à son sport préféré.
Articles dans cette série :
- L’International Swimming League peut-elle mettre fin au monopole de la FINA ? (2)
- L’International Swimming League peut-elle mettre fin au monopole de la FINA ? (3)
Samedi 24 Novembre 2018
LES RAPETOUT ONT LEUR SIÈGE À LAUSANNE
La Fédération Internationale de Natation (FINA), en menaçant de sanctions graves (un à deux ans d’interdiction de nager) les (50) nageurs professionnels qui entendaient disputer le meeting d’une nouvelle organisation, l’International Swimming League (ISL), ces 20 et 21 Décembre à Turin, a montré qu’elle entendait défendre ses intérêts, fut-ce aux dépens des athlètes et du développement de la natation dans son ensemble. Suite à cette menace, le meeting s’est en quelque sorte autodétruit, annulation décidée par Paolo Barelli, président des Fédérations italienne et européenne. Les nageurs professionnels y ont perdu l’occasion d’exercer leur métier et de se partager 2 millions d’Euros de prix mis sur la table par l’ISL. Laquelle a promis de porter l’affaire devant le tribunal européen, qui pourrait lui donner raison…
La FINA contre la natation ? Ça pourrait bien être ça. Au siège lausannois de l’institution, en tout cas, on parait penser, l’affrontement le démontre, que tout ce qui est bon pour la natation n’est pas bon pour la fédération. Et que défendre les intérêts de l’institution est plus important, pour elle, que de promouvoir le sport.
C’est dire s’il y a du souci à se faire.
La natation n’est certes pas le seul sport à avoir un problème de gouvernance, à l’international.
Parce qu’une fédération internationale peut facilement devenir un « machin ». Une fausse démocratie, où les quelques nations qui génèrent le sport le voient leur échapper au profit d’une caste de démagogues appuyés sur une vision clientéliste de la démocratie.
Je vous donne un exemple que je connais bien. En 1976, un certain Tamas AJAN devient le Secrétaire général de la Fédération Internationale d’Haltérophilie. Sa campagne, orchestrée par les nations de l’Est, n’est pas privée de relents antisémites (son prédécesseur est un britannique de confession juive).
En 2000, il quitte le secrétariat de la FIH (devenue depuis l’IWF) pour en devenir le président. Depuis, il a été réélu sans cesse, malgré de sérieux soupçons de corruption qui, dans le monde des affaires, auraient conduit à enquêtes criminelles… Il faut dire que l’Afrique vote pour lui comme un seul homme, il suffit pour cela que l’élection se déroule à Moscou et que les billets d’avion soient offerts ; et si à 79 ans, il tient toujours autant à son poste au sommet d’un sport vérolé par le dopage, c’est pour protéger, dit-on, les affaires de ses gendres, dont la gestion de certains intérêts fédéraux qui leur ont été confiés, népotisme oblige, a tendance a être facturée de plus en plus cher à la Fédération du beau-père. L’IWF, après 42 années, est devenue un petit business familial.
La Fédération Internationale de Natation a son Tamas AJAN, et il s’appelle Cornel MARCULESCU. Il n’est pas le président, lequel est l’Uruguayen Jules Cesar MAGLIONE, fringant octogénaire réélu grâce à un recul de la limite d’âge du président taillé sur mesure… Une opération signée Marculescu: c’est beau l’entr’aide!
Les Fédérations internationales ne sont-elles plus, à peu près, qu’autant de luxueuses maisons de retraite pour vieux renards retors et madrés ?
UNE PLUS GROSSE PART DE TARTE
Il y a un quart de siècle maintenant, Karine HELMSTAEDT me confiait, réprobatrice, comment l’actuel Directeur de la FINA, Cornel MARCULESCU donc, lui disait son impatience que la Fédération puisse s’attribuer « une plus grosse part de la tarte. »
Le courant passait mal entre la jeune idéaliste qui avait fait de la lutte anti-dopage une affaire personnelle, et le cacique au discours de mort de faim qui avait rejoint la FINA en 1986, après avoir occupé divers postes dont celui de Directeur des natations roumaine (1970-1980) et espagnole (1980-1986). Que l’intégrité du sport soit respectée ne lui importait guère trop, on allait le voir avec son traitement du dopage et des combinaisons polyuréthane. La tarte à l’oseille se devait de gonfler et peu importait le genre de levure qu’on y mettait.
Pour arriver à ses fins, Cornel a parié sur le professionnalisme. Lequel professionnalisme est un fait – mais assez difficile à promouvoir dans un sport qui regroupe, croit-on savoir, trois cent cinquante millions de pratiquants, mais peine à réunir autant de spectateurs dans dix-sept jours de championnats du monde qu’un soir de clasico Barcelone-Madrid de football au Camp Nou ou à Bernabeu.
Car quand même, qui dit professionnalisme dit : spectateurs. Et je préciserai spectateurs payants. Et c’est là que ça devient compliqué.
C’est au nom de ce rêve professionnel que Maglione, Marculescu and co ont conçu leur série de meetings baptisée FINA Coupe du monde, trompeuse hyperbole, vu qu’un peu plus de dix pour cent des meilleurs nageurs du monde y participent.
LES GRANDS MEETINGS N’ONT PAS ATTENDU LA FINA
Malgré ce qu’en diront les dirigeants de la FINA, les meetings ont toujours existé, ils n’ont pas attendu la FINA. Des meetings de grande amplitude, spectacles et compétitions. En Grande-Bretagne, vers 1900, le roi George V en avait présidé quelques-uns. Très loin dans le temps, au 17e siècle, le Japon les connaissait, et la Rome antique elle-même tint des naumachies. C’est dire.
Entre le souci de faire des sous et celui d’offrir un spectacle, la FINA n’a pas hésité à déplacer son cirque des lieux où le sport vivait à d’autres où les moyens financiers régnaient. De grands meetings du passé, au temps où l’institution de Lausanne n’y avait pas mis son nez, se déroulaient à Paris, à Rome, à Boulogne-Billancourt, à Amersfoort, à Crystal Palace, à Yale, à Santa Clara, à Mission Viejo. Bien assis sur des lieux de vie férus de sport, où siégeaient de grands clubs.
La FINA n’a eu qu’à faire main basse sur cette tradition du spectacle aquatique. Aujourd’hui, la moitié des rendez-vous FINA se situent à Dubaï, à Doha, cités états bâtis sur des puits de pétrole qui ne produisent aucun nageur international, mais peuvent payer des sommes très élevées pour organiser, ou à Singapour, où la FINA s’installa afin de faire capoter (déjà) un projet de nageurs emmenés par Stephan CARON et Frédérick BOUSQUET.
Un même souci de « faire accroître la visibilité du sport » a amené Marculescu and co à pousser à un développement démesuré du programme. En natation de course, celui-ci avait été longtemps trop restreint, aux Jeux olympiques, et encore en 1956, à Melbourne, il ne comptait que treize épreuves, sept masculines et six féminines.
Mais graduellement, le nombre de courses avait augmenté, passait à 15 à Rome en 1960, à 18 à Tokyo en 1964, à 27 à Mexico en 1968, à 29 à Munich en 1972, et s’il baissait à 27 en 1976 à Montréal, il a sensiblement progressé en nombre d’épreuves et, avec l’eau libre, aujourd’hui, en était à 35 à Rio de Janeiro, en sera à 37 à Tokyo.
Mais la « FINA-Marculescu » pousse à l’acceptation d’autres épreuves, les 50 mètres de spécialités et les relais mixtes, inventions que n’eut pas reniées le cirque Bouglione… En eau libre, outre le 10 kilomètres, elle ne cesse d’ « innover » : 5 km, 25 km, course mixte. La natation artistique est passée de deux ou trois à je ne sais combien d’épreuves aussi peu justifiées les unes que les autres. Idem pour le plongeon, seul le water-polo a été épargné par ce déluge inventif…
L’idée de vendre plus de jours et de créneaux de compétitions aux télés est certes centrale, dans tout ce déploiement.
LE POUVOIR VIENT D’EN HAUT ET L’ARGENT VIENT D’EN BAS
La FINA a organisé la traite de la natation mondiale comme s’il s’agissait de sa vache à lait. L’institution contraint en effet les organisateurs à respecter ce programme plein à éclater, et les coûts de la compétition ne cessent d’augmenter. Une équipe nationale complète de championnats du monde, sur une quarantaine d’épreuves, coûte deux fois plus cher que sur une vingtaine d’épreuves. Plus encore peut-être, parce que pour entrer tout le programme, la durée des grands rendez-vous est passée de 10 à 17 jours.
Voilà pour les concurrents : les organisateurs passent également à la caisse. Comme le programme est devenu pléthorique, avec ses épreuves redondantes et ses demi-finales à caser, qui allongent la sauce, le bassin des débuts, qui, comme au théâtre, organisait cette unité de lieu sans laquelle il n’était pas de bon spectacle, devient insuffisant. Le show éclate… On nage toujours dans un bassin, mais en exige un deuxième, olympique s’il vous plait, d’échauffement, un autre pour le water-polo, et un pour la synchro, sans oublier le plongeon et l’eau libre.
Belgrade, qui organisa les premiers championnats du monde en 1973, aurait l’air fraîche, aujourd’hui, avec son Centre nautique Tasmadjan. Pour accueillir l’événement, de nos jours, il lui faudrait s’ajouter un bassin olympique, un bassin de synchro, une fosse de plongeon adaptée, un ou deux bassins pour le water-polo, des dizaines de millions d’installations supplémentaires. La FINA-natation s’est employée pendant un siècle à développer le sport. Ces vingt dernières années, elle s’occupe à le métastaser…
LA FINATATION A PROMU DES EPREUVES OU ON NE SAIT MÊME PAS NAGER
Pendant qu’elle s’employait à pressurer les fédérations nationales et les organisateurs grâce à ses souvent douteuses innovations, la FINA leur enseignait à répercuter vers le bas les coûts de production et de participation qu’elle leur infligeait. C’est ainsi qu’en France, à l’école du racket lausannois, on fit monter les coûts tous azimuts. Les prix des licences, le droit d’organiser les championnats de France, les engagements dans les compétitions, les transferts, notamment ceux des nageurs du niveau équipe de France, furent taxés, des amendes élevées prévues dans certains cas, etc., une véritable culture du prélèvement et parfois de l’extorsion se mit en place. La FFN était supposée développer la pratique du sport. Elle fit de l’organisation des compétitions une affaire, avec des coûts d’engagements élevés ; et on multiplie les courses de sprint. Huit nageurs de 1500 qui disputent leur course vont prendre 20 minutes de bassin pour huit fois 9€, soit 72€, temps pendant lequel on va faire passer dix courses de sprint qui rapporteront 10 fois plus, soit 720€. A la fin de la journée, goûtez la différence.
…Si vous avez assisté comme moi à ces innombrables vagues de sprints en meeting, vous aurez noté en plus que 90% des participants à ces 50 mètres de spécialités ne savent presque pas nager…
Au bout du compte, on m’a affirmé que l’organisation d’un championnat d’Île-de-France rapportait 30.000€ à la région en un week-end. Bien entendu, l’essentiel est de savoir ce qui est fait de cet argent, c’est ca qui peut le rendre vertueux ou pas. En attendant, passez la monnaie.
Il a fallu une bataille électorale assez rude, en France, entre 2016 et 2017, pour qu’une nouvelle équipe chasse l’ancienne, et que soit rendue à la gouvernance fédérale une certaine cohérence morale.
L’idée qui prévaut à la FINA, c’est que la base de la pyramide est aux ordres du sommet. La notion de service est remplacée par celle de pouvoir. Les ordres viennent d’en haut, où se situe l’autorité suprême, concentrée entre deux ou trois paires de pattes aux griffes croches. Et l’argent circule vers le haut où les hauts dignitaires se gobergent à longueur d’année de nuits d’hôtels de standing et de généreux frais quotidiens (les fameux per diem).
La natation est la chose de la F.I. On impose le sigle F.I.N.A. partout où il y a du fric à faire, à l’international, et chaque fois que la F.I.N.A. juge qu’il s’agit de son domaine. La FINA s’octroie en toutes choses la part du lion.
(à suivre)