Ancien nageur, Eric Lahmy est journaliste, écrivain, rédacteur en chef, et reporter. Il anime depuis 2013 Galaxie-Natation, un blog dédié à son sport préféré.
Vendredi 23 Mars 2018
Caeleb Dressel est sur le point de nager un 100 yards, en petit bassin, en moins de quarante secondes… Ce qui était encore avant-hier une supputation devient une quasi-certitude après ses énormes progrès en vitesse, démontrés sur 50 yards. Soyons clair. Nous serions déçus s’il n’améliorait pas les quarante secondes.
La minute avait été battue sur la distance en 1906, et John Weissmuller avait réalisé 51 secondes en 1927.
Charles Daniels avait été le premier nageur de sprint à utiliser le crawl. Il nageait au début de sa carrière un style primitif appelé over arm stroke où le mouvement de bras, presque crawl, s’appuie sur un ciseau de jambes. Mais il fut convaincu de la supériorité du battement quand il vit un certain Scott Leary progresser énormément en utilisant le tap tap pratiqué par les naturels des îles de la Sonde que des Australiens, les frères Cavill, avaient importé dans la « civilisation » et rebaptisé crawl (ramper) en raison de l’impression de « ramper dans l’eau » que donne cette nage…
Quand Duke Kahanamoku efface le nom de Daniels, c’est dans le bassin de 100 yards d’Honolulu, donc sans virage, mais en eau de mer, ce qui augmente la portance. Il va pousser le record de 54s8 à 53s. Au début, les Américains ne croient pas aux performances que Duke réalise dans son île lointaine, à Hawaii, et qui apparaissent sur les documents officiels. On ne peut pas croire qu’un « indigène » – Kahanamoku est un Noir des îles du Sud.… – puisse nager aussi vite. Comme Daniels, Kahanamoku est aussi un nageur olympique. Il gagnera le 100 libre des Jeux de 1912 et de 1920 et aucun autre nageur mâle n’a gagné le 100 libre aux Jeux olympiques à huit ans de distance…
CE RECORD QUI NE SERA JAMAIS BATTU…
John Weissmuller, qui prend la suite de Kahanamoku, est plus qu’un sprinteur. Il sera élu en 1950 nageur du demi-siècle, sera champion olympique du 100 et du 400 mètres aux Jeux olympiques de Paris, en 1924, battre un record mondial des 800 mètres et sera une année champion américain de grand fond.
Le doublé 100-400 sera renouvelé quarante ans après, en 1964, par Don Schollander, et nul ne le reproduira ensuite, même si, en 1972, Mark Spitz aurait été en mesure de le réaliser et si Ian Thorpe tentera le coup.
Quand Weissmuller nage les 100 yards en 51 secondes juste, en 1927, des observateurs qualifiés affirment que ce temps ne sera jamais battu. Il faudra seize ans pour les contredire.
Ce qu’ils ne savent pas, c’est que les progrès en natation sont la résultante d’une multitude de paramètres divers liés à la fois à des talents individuels d’exception et à des évolutions techniques (technique de nage et conditions de nage).
Et que la nage de Weissmuller, qu’ils croient être au sommet de la technique, est basée sur un nombre d’erreurs de jugement de son coach, liées à énormément d’ignorances de l’époque concernant les paramètres de la propulsion dans l’eau (et notamment l’ignorance des réflexions des coaches japonais, dont, barrage de la langue aidant, les occidentaux n’ont pas idée)…
Les façons d’apprécier les possibilités d’évolution sont très aléatoires. Quand en 1966, Michael Burton améliore le record mondial du 1500 mètres pour l’amener à 16’41s6, le jeune (45 ans) coach James Counsilman apostrophe son aîné, le vieux coach de Yale, alors à la retraite, Robert « Bob » Kiputh, 76 ans, et lui lance « ce record ne sera jamais battu ». La réponse fuse : « bientôt, des petites filles battront ce record. » Kiputh, à ce moment, n’a plus que six mois à vivre, il mourra le 7 janvier 1967. Mais c’est lui qui a raison !
LES NAGEURS COMPLETS ET LES ACROBATES DU PETIT BASSIN
Si le record officiel de Weissmuller reste à 51 secondes, Johnny, devenu professionnel, et interprète de Tarzan à Hollywood, va faire mieux. Vers 1938, il est défié par Walter Spence, alors champion des Etats-Unis, dans un 100 yards. Weissmuller s’est entraîné de façon atypique, en nageant dans des shows à grand succès précurseurs de la natation synchronisée avec une ancienne championne olympique de nage sur le dos, Eleanor Holm. Il enchaîne les shows, plusieurs par jour et parmi les exercices qu’il effectue, il nage tandis qu’Holm a posé ses pieds sur ses épaules : bel exemple de musculation dans l’eau.
La course sera chronométrée par deux spécialistes dont le fameux Buck Dawson, futur créateur du Swimming Hall of Fame. Weissmuller ridiculise le champion en titre et arrête les chronos à 48s2/5. Il faudra attendre un quart de siècle pour que quelqu’un, Jeff Farrell, le grand sprinteur des Jeux de 1960, nage aussi vite…
Après John WEISSMULLER et son tarzanesque 1,91m, arrive le temps d’Alan Ford, aux dimensions plus banales et que la guerre mondiale empêchera d’être champion olympique en 1944. Suit le grand Richard Cleveland, peut-être l’initiateur de la musculation. C’est un squelette de 66,5kg pour 2,04m, et son coach le confie à un parent, enseignant culturiste, pour lui donner la puissance physique qui lui permettra de battre les records des 100 yards et des 100 mètres (Cleveland sera le premier homme sous les 55 secondes)…
Les nageurs qui s’emparent du record se suivent et ne se ressemblent pas. Vous avez les nageurs complets, aussi à l’aise en grand qu’en petit bassin, comme Jeff Farrell, Stephen Clark, Zac Zorn, Andrew Coan, Ambrose Gaines, et les experts du petit bassin comme Ray Padovani, Dave Edgar, Duje Draganja… Et ceux soupçonnés de dopage comme Cesar Cielo et Vladimir Morozov !
HISTORIQUE DU RECORD DES 100 YARDS
(en bassin de 25 sauf quand signalé)
- 1’ Frederick LANE 1902
- 57s2 Charles DANIELS 1906
- 56s Charles DANIELS 1906
- 55s4 Charles DANIELS 1907
- 54s8 Charles DANIELS 1910
- 54s6 Duke KAHANAMOKU 1913 (100 yards)
- 53s8 Duke KAHANAMOKU 1915 (100 yards)
- 53s2 Duke KAHANAMOKU 1915 (100 yards)
- 53s Duke KAHANAMOKU 1917 (100 yards)
- 52s6 John WEISSMULLER 1922
- 52s4 John WEISSMULLER 1924
- 52s2 John WEISSMULLER 1925 (50 yards)
- 52s John WEISSMULLER 1925 (100 yards)
- 51s John WEISSMULLER 1927
- 50s6 Alan FORD 1943
- 49s7 Alan FORD 1944
- 49s3 Richard CLEVELAND 1952
- 49s2 Richard CLEVELAND 1952
- 49s Rex AUBREY 1956
- 48s9 Robin MOORE 1956
- 48s2 Jeff FARRELL 1960
- 47s9 Ray PADOVANI 1960
- 46s8 Steve CLARK 1961
(Virage culbute sans toucher à la main autorisé)
- 45s6 Steve CLARK 1965
- 45s6 Ken WALSH 1967
- 45s3 Zachary ZORN 1968
(chronométrage électronique)
- 44s73 David EDGAR 1971
- 44s69 David EDGAR 1971
- 44s50 David EDGAR 1971
- 43s99 Andrew COAN 1975
- 43s39 Joseph BOTTOM 1977
- 43s25 Andrew COAN 1979
- 43s16 Rowdy GAINES 1980
- 43s08 Rowdy GAINES 1981
- 42s62 Ambrose GAINES, USA, 1981
- 42s38 Ambrose GAINES, USA, 1981
- 42s36 Matt BIONDI 1985
- 41s87 Matt BIONDI 1985
- 41s80 Matt BIONDI 1987
- 41s80 Anthony ERVIN 2001
- 41s62 Anthony ERVIN 2002
- 41s49 Duje DRAGANJA, Croatie, 2005
- 41s17 Cesar CIELO, Brésil, 2007
- 40s92 Cesar CIELO, Brésil, 2008
- 40s76 Vladimir MOROZOV, RUS, 2013
- 40s46 Caeleb DRESSEL, 2016
- 40s00 Caeleb DRESSEL, 2017
100 yard freestyle barriers:
Moore: 48.9/1956
Padovan: 47.9/1960
Clark: 46.8/1961
Clark: 45.6/1965
Edgar: 44.5/1971
Coan: 43.99/1975
Gaines: 42.3/1981
Biondi: 41.8/1985
Morozkov: 40.7/201338.87/2018
Stay tuned….#skip39— Rowdy Gaines (@RowdyGaines) March 24, 2018