Ancien nageur, Eric Lahmy est journaliste, écrivain, rédacteur en chef, et reporter. Il anime depuis 2013 Galaxie-Natation, un blog dédié à son sport préféré.
Julien ISSOULIÉ est depuis ce soir le nouveau Directeur technique de la natation française. Il devient le 10e titulaire du poste après Pierre BARBIT, Lucien ZINS, Gérard GAROFF, Patrice PROKOP, Jean-Paul CLÉMENÇON, Claude FAUQUET, Christian DONZÉ, Lionel HORTER et Jacques FAVRE…
Cette nomination conclut un feuilleton complexe de quelques mois qui met notamment en lumière les dysfonctionnements de l’ancienne présidence de la Fédération.
La nomination d’ISSOULIÉ a été permise par deux ouvertures à candidatures au poste. La deuxième avait été souhaitée par le Ministère après que les premiers candidats n’avaient pas satisfait les exigences de l’avenue de France. C’est dans cette seconde fournée que s’est engouffré ISSOULIÉ. Elle a été facilitée également par les soucis de Romain BARNIER au regard de la législation antidopage. L’entraîneur marseillais s’était opposé au contrôle de trois nageuses…
En février dernier, l’affaire avait été classée sans suite par la Commission ad hoc de la Fédération, mais l’antidopage a mal vécu une telle indulgence et interjeté appel… Le tarif appliqué, six mois d’interdiction, a été qualifié d’assez indulgent, vu la gravité des faits.
Hier, le Conseil d’Etat était censé se prononcer sur la condamnation de BARNIER, sans préjuger du fond.
BARNIER et son clan des Marseillais a allégué qu’une interdiction totale d’activités de l’entraîneur allait gravement perturber les résultats de la natation française (je vous laisse imaginer leurs autres arguments, dans le style : la patrie est en danger).
S’ils savaient ce qu’on s’en fout ! Comme me dit un ami : « pourquoi c’est grave qu’il arrête, ton BARNIER, il sauve des vies, il est chirurgien du cerveau ? »
Les si importantes responsabilités de BARNIER sont une chose, ce qui s’est passé au cours de ce contrôle en sont une autre. Arguer qu’il est entraîneur chef d’un pôle France, ou coach de l’équipe nationale, ou grand mamamouchi, est-ce dire qu’il se tient au-dessus des lois ? En est-on encore là ? Quand comprendra-t-on qu’un rôle « important » donne plus de devoirs que de droits, de responsabilités que de prérogatives ?
BARNIER, plus qu’un autre, devrait connaitre et respecter les règles de l’antidopage… Sans vouloir l’enfoncer (il fait très bien ça tout seul), je trouve plus ennuyeux qu’un homme exerçant ses responsabilités à la pointe de son sport commette une telle bévue, plutôt que l’animateur bénévole du club des « Anchois » de Trifouilly-les-Oies ou l’adjoint du bassin mobile de Pétaouchnok !
Par ailleurs, sincèrement, il peut très bien refiler ses nageuses à Julien JACQUIER, l’entraîneur phocéen ayant obtenu les meilleurs résultats aux mondiaux de Budapest ; elles ne seront pas gâchées, les filles.
Mathieu BURBAN, le 3e coach marseillais, pourrait, quant à lui, prendre un peu de recul et l’accompagner dans ses six mois de congé avec ou sans solde ; ce charmant garçon ayant pris l’habitude, depuis deux ou trois années, de planter ses équipes, je le verrai très bien pendant ce semestre en planteur antillais ou de tubercules (l’agriculture manque de bras) ! G.O. au Club Med lui conviendrait bien également. Je suis sûr qu’il reviendrait régénéré au bord des bassins…
Mais parlons un peu de l’incident…
Si mes informations sont bonnes, les faits paraissent établis. Les personnes chargées des prélèvements, qui étaient bien connues de BARNIER (l’une d’elles officie habituellement), arrivent à la piscine du Cercle pendant l’entraînement. Dans un premier temps, BARNIER leur demande d’attendre la fin de la séance, ce qu’elles font calmement, pensant qu’elles pourront alors procéder. Là, changement de ton, l’entraîneur explique à la responsable qu’il n’est pas question de « déranger » les nageurs. Il argue de leur programme, un rendez-vous, semble-t-il, avec un ostéopathe. La préleveuse attire son attention, à plusieurs reprises, sur les risques (prévus dans le Code du Sport, L.232.23) de s’opposer au contrôle. Rien n’y fait.
Si les choses se sont bien passées ainsi, c’est, bien entendu, une position assez irresponsable qu’a pris BARNIER. Je crois que les nageuses, premières concernées, auraient dû passer outre leur coach et demander à être contrôlées, car menacées d’un « no show ». La règlementation est assez claire.
Peut-être n’ont-elles même pas été averties de ce qui se tramait ? Ou bien elles n’ont pas osé. Respect du coach. Dont la position rend intenable celle des filles. Si l’une d’elles avait décidé d’être contrôlée, les autres auraient dû suivre, elles auraient été vilipendées par leur coach, mais lui auraient sauvé la mise : il n’en serait pas là aujourd’hui !
Bien entendu, il vaut mieux un « no show » qu’un contrôle positif. C’est là que le comportement de BARNIER provoque des soupçons… Si les filles étaient propres, ce que je veux croire, qu’est-ce qui a pu le rendre aussi téméraire ?
LES ADIEUX DE VOYOUS DE LUYCE ET COMPAGNIE
La question qu’on se pose, est de savoir comment une affaire qui a débuté en octobre 2016 a-t-elle pu rester secrète et ne ressortir qu’en juillet dernier… Et pourquoi avoir laissé un entraîneur dans la situation de BARNIER emmener ses nageurs aux championnats du monde de Budapest, en juillet 2017.
La réponse est simple : la Fédération a étouffé le scandale, ce qui était le meilleur moyen d’en créer un autre.
Comment cela est-il possible, et comment se fait-il que la nouvelle équipe fédérale, désignée depuis le 2 avril, n’a-t-elle pu rectifier le tir ?
« Lors de la remise du rapport de la Cour des comptes régionale, explique Christiane GUÉRIN, secrétaire générale de l’équipe actuelle, issue des élections du 2 avril 2017, nous avions été frappés par un paragraphe, où il était demandé à la Fédération de se mettre en accord avec la réglementation du dopage. Ce n’était pas plus explicite que cela, et nous nous étions alors demandé ce qu’un tel passage signifiait, où pouvait être le souci. L’affaire BARNIER avait été traitée par le groupe LUYCE exclusivement, le président et, j’imagine, le DTN (Jacques FAVRE), sans doute aussi le Directeur administratif (L.-F. DOYEZ) et mon prédécesseur (SAUGE). Saisie de la situation, la commission fédérale du dopage, qui est indépendante, a blanchi BARNIER. Mais, à réception du compte-rendu de cette décision, l’Association française anti-dopage a fait appel, estimant que le coach marseillais ne pouvait être exonéré de toute faute ! Tout cela s’est fait sans qu’aucune personne de l’équipe actuelle ne soit au courant.
Comment, élus le 2 avril, n’avons-nous rien appris avant l’été ? Il faut voir dans quelle condition s’est passée la transition entre la Fédé LUYCE et notre administration. Nous pensions bien qu’il y aurait souci, et DALMONT, SEZIONALE et moi avions décidé, si nous étions élus, dimanche matin, de nous rendre l’après-midi même au siège fédéral, rue Scandicci. Ce que nous n’avions pas prévu, c’est qu’un dimanche, en raison des normes de sécurité, nous ne pourrions pas rejoindre les bureaux. En revanche, LUYCE et les siens s’y trouvaient bel et bien, et ils ont bien travaillé. Les bureaux du président, du DTN, du secrétaire général et de DOYEZ avaient été nettoyés, vidés de tous les dossiers. Il ne restait plus rien. Ils étaient allés très loin dans la nuisance. Par exemple, toutes les bouteilles de champagne avaient été emportées [il n’y a pas de petits bénéfices, NDLR], et, dernière petite amitié, la température de la cave à vin avait été abaissée -10°, une façon de tuer les bouteilles du cellier. Dans la gestion fédérale, on est vraiment partis de zéro, en s’appuyant seulement sur les dossiers du directeur financier et du personnel. L’affaire BARNIER a donc fait partie de ce nettoyage par le vide des occupants précédents, qui avaient bien fait le ménage. Son dossier avait été retiré. »
UN MINISTÈRE DES SPORTS QUI ROULE POUR MARSEILLE
Avant de souhaiter bonne chance à Julien ISSOULIÉ, certaines choses doivent être dites…
Je crois que la personnalité, plutôt sympathique, (« ronde », dit un de ses collègues) de Mr ISSOULIÉ, ou ses compétences, qu’il pourra toujours étendre, posent moins problème que la façon dont le tandem Fédération-Ministère des Sports a fonctionné (ou dysfonctionné ?). Voilà un Ministère qui désigne deux favoris parmi les candidats à la DTN, Mr BARNIER et Mr ISSOULIÉ. Et là, je me dis que j’hallucine. Si le ministère veut que le siège fédéral se change en siège d’affrontements, il est en effet très intéressant de nommer Mr BARNIER.
Je pense beaucoup de bien de Mr BARNIER. Il est un coach créatif, toujours en ébullition, en recherche. Il se remet techniquement en cause de façon permanente. Il a très certainement un profil séduisant. Sa passion, ses qualités d’entraîneur ne sont pas en cause. Mais son caractère, sa façon de peser sur les décisions en équipe de France – comme s’il s’agissait d’une annexe du Cercle des Nageurs de Marseille – font de lui une personnalité aussi « clivante » que Jacques FAVRE. Nous en sommes sans doute tous un peu là, mais BARNIER a les défauts de ses qualités.
Comprenez-vous que, la commission ministérielle, ayant donné deux noms, Julien ISSOULIÉ, qu’elle pare de vertus qu’on a déniées à Richard MARTINEZ, Philippe DUMOULIN et consorts, et Romain BARNIER, le second nommé de la short-liste pose problème ; et jette l’ombre d’un doute sur l’ensemble, et donc sur le premier nommé ? Si la commission a élevé BARNIER, c’est qu’elle ne comprend pas que, s’il est nommé, la Fédération peut exploser.
Ou bien le cabinet n’en a cure. Après avoir toléré un DTN qui faisait de sa cuisine mulhousienne le centre d’intérêt de la natation française, puis un DTN qui tâtonnait, faisait ses classes, et trouvait les solutions aux questions soulevées par son job au Cercle de Marseille, le ministère propose un DTN pour qui le nombril de la natation est (à nouveau) Marseille, et qui fonctionnait comme l’inspirateur de Jacques FAVRE : en quelque sorte, un FAVRE monté à la puissance.
Vous comprendrez dès lors que, si je pose un point d’interrogation sur ISSOULIÉ, parce que je ne le connais pas bien, pour BARNIER c’est d’un point d’exclamation que j’accompagne son nom, parce que je le connais trop. Pour ce qui est du cabinet du Ministre, je le ferais suivre de trois points de suspension…
Dès lors, si la commission se plante pour BARNIER, pourquoi aurait-elle vu juste au sujet d’ISSOULIÉ ? Et puis Gilles SEZIONALE avait prévenu qu’il n’accepterait jamais ni FAVRE, ni BARNIER.
Da la découle que, sauf entente souterraine entre SEZIONALE et le Ministère, entente dans laquelle le Ministère aurait « short-listé » son propre candidat et celui du président de la Fédération, on peut dire que c’est le ministère qui a choisi le DTN et que la Fédération s’est trouvée squeezée, n’a pas eu son mot à dire, contrainte qu’elle a été de désigner ISSOULIÉ…
Vous trouvez ça confus ? Vous n’y comprenez rien ? C’est pas grave, moi non plus.
Reprenons. Le ministère, opération orchestrée par Pierre DANTIN, membre du cabinet, veut (à tout prix ?) faire passer BARNIER. Pour contraindre la Fédération, il réfute la première liste de candidatures dont il trouve les personnalités insuffisantes, et les flingue de commentaires des plus désobligeants.
Bon. On réfute là des pointures de la natation, comme Richard MARTINEZ, entraîneur emblématique de Font-Romeu, ou encore Philippe DUMOULIN, on se refuse à proposer une short-liste, et achève le massacre en déglinguant le premier choix de SEZIONALE, Laurent GUIVARC’H, qu’on charge des pêchés capitaux et à qui on reproche, par exemple, de devoir prendre un avion pour le Japon, où il doit cosigner un protocole important avec le maire de Kanazawa, le jour de son audition, alors qu’on lui a refusé le report de cette audition. Bizarre ?
Là, le cabinet exige un second tour. Des candidatures pilotées depuis l’avenue de France se font connaître, dont on ne peut dire si elles sont meilleures ou moins bonnes que les autres. Tout profil peut être intéressant. Mais la meilleure façon de faire passer BARNIER, pourrait être, auprès du Marseillais, de glisser le nom d’un second couteau. De quelqu’un qui ne pourrait faire de l’ombre au préféré. Julien ISSOULIÉ va faire l’affaire. L’adjoint au water-polo, qui a noté l’invasion des candidats du ministère et craint que le poste n’échoie à une personne extérieure à la natation, s’est porté candidat.
Le choix se porte-t-il sur lui, avenue de France, parce qu’il a séduit la commission ? ou parce qu’on a fait le pari que SEZIONALE ne pourra pas décemment le retenir, face à BARNIER ?
Manque de bol, SEZIONALE, sans broncher, entérine l’outsider. Il a sans doute plus d’une raison d’agir ainsi. D’abord, il a sans doute flairé le piège. Pourtant, cette nomination est étrange. S’il réfute BARNIER, il n’y a plus qu’à entériner ISSOULIÉ sans même prendre la peine de l’auditionner.
Une autre raison pour laquelle SEZIONALE a pu accepter d’opérer ce choix tronqué, c’est qu’au fond ISSOULIÉ lui convient. Le responsable du water-polo est un homme de consensus, qui sait travailler en équipe. Rue Scandicci, celles et ceux qui le connaissent le mieux pour l’avoir côtoyé vantent l’ambition qui le pousse, la part qu’il a prise dans les succès du water-polo français, ce désir qui l’a amené à ne cesser de se former, de progresser, de passer des diplômes, tout en préparant les équipes de France de jeunes à l’INSEP et en accompagnant les progrès du Sept, ces dernières années.
Quelques techniciens, proches de lui, ne tarissent pas d’éloges sur le DTN que s’est finalement choisi la natation. Florilège : « c’est un mec bien, honnête, pas tordu pour un sou. Un meneur d’hommes. On dit que le water-polo français a été mené par l’entraîneur jusqu’aux Jeux, mais Florian [BRUZZO],, s’il est un bon entraîneur, il fallait le choisir, et le défendre, et dans le contexte de la présidence LUYCE et de la DTN FAVRE, c’était tout sauf facile. Homme de sports co’, arrivé à sa place en 2013, il a cette approche de ceux qui savent qu’on ne fait rien tout seul, très différente de celle, individualiste, qui préside trop souvent en natation course. De plus, il est convivial, amusant, doté d’un humour fin… »
N’en jetez plus.
ISSOULIÉ (toujours présenté sur le site fédéral comme directeur du water-polo d’Île-de-France) a commencé comme accompagnateur, chargé de filmer les équipes de France. Une action assez restreinte. « Assez intelligent », nous dit à son sujet Marc CROUSILLAT, qui ne lui accordait « aucune chance d’être choisi, » surtout, en raison de sa spécialité water-polo. Cela vaut-il élimination ? Sûrement pas. D’autant qu’il est sympathique. Peut-être la natation a-t-elle besoin d’un pacificateur. D’un type cool, quelqu’un qui calme les égos, qui magnifie l’action collective NATIONALE et non pas d’un club, Mulhouse, Marseille, Nice, Toulouse, etc… Et, par définition, puisqu’il bosse dans une Fédération, d’un fédérateur.
A son sujet, on pourrait répéter la légende de ce lutteur et humaniste, Ghani YALOUZ, qui a fait tellement fort comme DTN à la tête de l’athlétisme français après autant de succès à la lutte qu’il a été bombardé cette année Directeur de l’INSEP… On va en faire un mantra. Et on aimerait bien que l’histoire se reproduise.
Bien entendu, DUMOULIN, MARTINEZ et autres sont passés à la trappe, mais on ne fait pas d’omelettes, etc., et SEZIONALE, même s’il a perçu les façons de peser de son ministère de tutelle, ne s’est pas senti, à peine sorti de son bras de fer contre LUYCE, d’affronter FLESSEL.
Bien entendu, la cerise sur le gâteau (ou peut-être le gâteau sur la cerise), c’est la cagade du contrôle anti-dopage. Le ministère, une fois reçu le choix fédéral, a quand même mis des semaines à l’entériner !