Ancien nageur, Eric Lahmy est journaliste, écrivain, rédacteur en chef, et reporter. Il anime depuis 2013 Galaxie-Natation, un blog dédié à son sport préféré.
Éric BOISSIÈRE s’accrochait à sa passion ; atteint par la limite d’âge, il devait partir à la retraite en février 2016, mais se voyait mal éloigné des bassins ; il avait œuvré, avec l’appui de la direction technique nationale, où Jacques FAVRE, alors DTN, et Stéphane LECAT, directeur de la natation et de l’eau libre, avaient dégagé la voie, et obtenu du Ministère une prorogation de son contrat. Cette rallonge (jusqu’en août 2016) devait lui permettre de suivre ses nageurs jusqu’aux Jeux olympiques de Rio.
Mais quarante ans à longer les bords du bassin de la piscine de Rouen ne lui suffisaient pas. Il en redemandait. Il avait donc trouvé le moyen de prolonger la prolongation. S’appuyant sur une règle qui permet à un père de famille ayant charge d’enfants mineurs à plus de 50 ans, de retarder l’âge de la retraite, il s’était engouffré dans la brèche, son contrat avait été étendu jusqu’à 2019, et on ne sait pas trop jusqu’où son désir d’entraîner l’aurait amené si la fatalité n’avait sifflé la fin, pour lui, de la partie.
Il y a trois mois, Eric appartenait à l’encadrement de l’équipe nationale d’eau libre qui partait en stage au Japon. Quelque chose ne tournait pas rond, cependant. Il avait dramatiquement maigri. Je m’étais imaginé qu’il avait voulu retrouver sa silhouette de jeune homme. Mais il n’avait pas assez pris garde à certains signes inquiétants. A la veille de s’embarquer, il avait paru assez chancelant, et autant une secrétaire de direction de la Fédération que Stéphane LECAT et quelques autres s’étaient posé des questions. Eric balayait tous les arguments, il allait bien. Il s’envola pour le Soleil Levant. Là, un malaise l’assaillit. Les médecins japonais diagnostiquèrent un cancer du pancréas, et il fallut le rapatrier, l’hospitaliser à Rouen, où son état fut jugé désespéré : c’était trop tard pour opérer, trop tard pour espérer quoique ce soit d’une chimio… Il décédait dans la nuit du 1er au 2 février.
Patrick DELEAVAL faisait remarquer à des amis de la Fédération qu’Eric avait poussé des nageurs vers les sommets pendant dix olympiades, de 1980 à 2016. Son premier élève de valeur olympique, Xavier SAVIN, avait en effet atteint la finale du 100 mètres papillon des Jeux olympiques de Moscou, en 1980, où il avait fini 7e, juste derrière le Britannique Gary ABRAHAM, le très oublié « inventeur » des coulées sous-marines. Trente-sept années après cette initiation à la grandeur, le dernier élément que BOISSIERE junior mitonnait à sa manière, avec la science d’un maître-queue qui prépare un chef d’œuvre de gastronomie, était Logan FONTAINE, natif d’Argentan, issu d’une famille totalement impliquée dans la natation, et une sorte de précoce génie des eaux vite auréolé de titres de champion d’Europe et du monde juniors de l’eau libre. Beaucoup de gens pensent que BOISSIERE visait, à travers ce surdoué, le titre de champion olympique des 10 kilomètres aux Jeux de Tokyo…
« Nous avons pour ainsi dire commencé ensemble, moi dans l’eau et lui au bord du bassin, se souvient Xavier SAVIN. Eric avait autour de 25 ans, il venait d’être embauché par le Club Nautique Havrais, et il m’a alors entraîné. Comme son père, Guy (1929-2005), il était totalement engagé dans son métier d’entraîneur, d’une façon tellement exclusive que je me demande si, au bout d’un certain nombre d’années, les nageurs ne finissaient pas par partir, comme Fabien Gilot, un peu épuisés par sa passion de tous les instants.
« C’était ce que Guy et Eric avaient en commun, cet engagement total, au mépris, d’ailleurs, du reste de leur vie. Ils étaient comme deux artistes, entièrement consacrés à leur passion, explique encore Xavier. Si le reste existait quand même – tous deux étaient des bons vivants et Guy avait nourri deux puissants hobbies, le golf et la peinture –, la natation passait en tête.
On ne peut cerner facilement ce qu’étaient les relations entre ce père et ce fils, si différents, l’un sanguin, extraverti et « mâle dominant », l’autre comme retiré en lui-même, capable de se livrer certes, mais en recul et très rarement au point de s’exposer…
Différents, donc, mais jumeaux sur au moins un point, la totalité de leur engagement ! Ils jouaient un jeu, celui de la complicité : « je me souviens, raconte Jean-Pierre Le Bihan, qui était alors Directeur technique national adjoint, des arrivées du père et du fils aux Tourelles. Guy braillait à son rejeton, perché de l’autre côté des gradins, un tonitruant « qu’est-ce qui est plus con qu’un CTR ? », et Eric (qui était CTR) de hurler sur le même ton : « deux CTR. »
BOISSIERE avait-il désiré plus que tout l’acquiescement de son père ? Visiblement, un tel défi fut, à tout le moins, le moteur initial de son formidable engagement. Entraîner dans une piscine qui portait le nom de ce géniteur devait avoir quelque chose d’exaltant, mais aussi sans doute aussi d’écrasant.
« Eric était fidèle dans sa relation aux nageurs, d’une fidélité qui s’inscrivait dans des années, note SAVIN. Il en devenait exclusif même, il avait besoin de cette relation, très intime, privilégiée. C’était générosité, de sa part, et il l’a pratiquée jusqu’au bout, malgré la maladie. Avant qu’il n’arrive au Havre, je ne faisais que nageoter, quatre fois par semaine. Son ambition ne lui permettait pas de se contenter de si peu. Pour me permettre un deuxième entraînement quotidien, il venait me chercher en voiture à l’école, m’y ramenait après la séance, et s’imposait des va-et-vient, trois fois par jour s’il le fallait, entre la maison la piscine, l’école de management de Normandie où j’étudiais. Pendant trois ans, entre dix-huit et vingt et un ans (de 1978 à 1982), il venait me chercher et me ramenait aux cours chaque jour de la semaine.
« Cette façon de fonctionner, note encore Xavier, l’empêchait d’entraîner de grosses équipes. Quand son meilleur nageur le quittait, il en trouvait un autre. Cela ne l’a pas empêché d’obtenir de cette façon un beau palmarès. »
On sait qu’après avoir honoré un atavisme d’entraîneur de sprint sans doute inculqué, encore une fois, par son père, Guy, lequel avait « coaché » pendant sa longue carrière » des internationaux de la dimension de Michel ROUSSEAU (champion et recordman d’Europe, vice-champion du monde), Xavier SAVIN (finaliste olympique) et Stephan CARON (champion d’Europe, médaillé d’argent mondial et double médaillé olympique), Eric s’est trouvé embarqué dans l’aventure de l’eau libre.
CETTE CAPACITE TRES ADMIREE, QUASI CAMELEONESQUE, DE S’ADAPTER, ENTRE UNE DISCIPLINE ET UNE AUTRE, ERIC LA TENAIT DE SA PASSION, ET DE SA CULTURE DE LA COMPETITION, EXTRÊMEMENT DEELOPPEES
Techniquement, il s’agissait d’un grand écart difficile, ou, pour le moins inhabituel. Si l’on excepte les débuts du sport, celui des premières olympiades, où rien d’important ne différenciait la course longue des épreuves électriques du sprint, on note, avec le temps, une certaine spécialisation, non seulement des nageurs, mais aussi des entraîneurs.
Pour Xavier SAVIN, cette capacité très admirée, quasi caméléonesque, de s’adapter, entre une discipline et une autre, Eric la tenait de « sa passion, et de sa culture de la compétition, extrêmement développées. Je suis sûr qu’entraîneur de gymnastique ou d’athlétisme, il aurait réussi de la même façon à obtenir des résultats. C’était un esprit curieux, il aimait se renseigner sur ce qu’il y avait de mieux et visait haut. Lorsque j’ai voulu étudier aux Etats-Unis, il m’a dirigé vers la top-université, à la fois aux plans études et natation, et je me suis retrouvé à Gainesville, en Floride, qu’entraînait Randy REESE [coach universitaire NCAA masculin des années 1983 et 1984, et féminin des années 1982 et 1988]. Quand je plongeais, je trouvais dans l’eau David McCAGG (recordman et champion du monde du 100 libre en 1978), Tracy CAULKINS (quintuple championne du monde en 1978) et sa sœur Amy. » Il y avait aussi Craig BEARDSLEY, alors recordman du monde du 200 papillon et d’autres encore… « Mais ce n’est pas tout. Eric a organisé les conditions de mon déplacement d’étudiant nageur, pendant mon service militaire : j’étais détaché du BJ. »
Ce fonctionnement, cette façon de prendre en compte tous les facteurs techniques et humains, et de baliser la route de ses élèves, lui avait apporté une énorme compétence et le respect de ses confrères. Il est difficile de dire ce qu’Eric avait appris de son père, l’un des techniciens les plus pointus de l’époque, mais cela ne devait pas être mince. Comme ensuite il n’avait cessé de s’interroger sur son métier, et, sous des dehors de taiseux, en connaissait un rayon, il s’avançait tel un iceberg ou un sous-marin de la technique, où la réalité de ses connaissances n’apparaissait pas.
Or, à la différence de la « culture » française, du moins telle qu’elle m’est souvent rapportée, et dénoncée, où les entraîneurs cacheraient jalousement leurs recettes, Eric ne craignait pas de dévoiler sa méthode. Il était assez sûr de ce qu’il faisait pour en parler, et assez humble pour envisager sereinement la critique. Seulement, ce n’était pas dans sa nature de se mettre en avant…
A plusieurs reprises, je l’avais interviewé pour une raison ou une autre, ou lorsque ses nageurs obtenaient des succès, et j’étais frappé par la richesse de ses analyses. Il les délivrait sous une forme particulière. Eric démarrait lentement, précautionneusement, par une première notation. Puis, prenant son temps, entrecoupant son propos de pauses, il déroulait tranquillement le fil de sa réflexion. Cela n’allait pas forcément très vite, il prenait le temps de cogiter, mais au bout de quelques minutes, il m’avait en quelque sorte, fait mon article. Là, où avec d’autres, je devais relancer parfois à de nombreuses reprises, mon unique question amenait chez Eric une réponse qui pouvait couvrir des pages, et dont il n’y avait rien à retirer : il pouvait se montrer disert sans être bavard, cela tombait juste et profond. Je me souviens ainsi d’un article sur Logan FONTAINE où Eric me dit tout sans que j’aie eu besoin de le réactiver. Une telle gageure, il la réussissait pour ainsi dire à tous coups.
J’avais eu l’occasion de le connaître à une époque où il avait été journaliste à Liberté-Dimanche, dans les années 1970. On s’était retrouvé, des soirs de championnats et on avait dîné ensemble à quelques reprises. Je ne me souviens guère de nos conversations (les événements de la natation devaient y prendre une grande part), mais je crois bien que le métier de journaliste ne l’emballait pas. Il s’est beaucoup plus fait plaisir comme entraîneur que comme journaliste, un métier qui vous coupe des autres autant qu’il vous lie à eux. Même s’il savait commenter parce qu’il savait analyser, Eric préférait agir qu’épiloguer sur les actions des autres. Je me souviens ainsi d’un autre nageur, Jean-Noël REINHARDT, qui, s’étant essayé dans le journalisme, décida qu’il « préférait agir qu’interpréter », s’offrit un passage chez ADIDAS, puis au COQ SPORTIF, et devint président du directoire de VIRGIN FRANCE.
Eric abandonna donc la plume, et, privilégiant le savoir-faire sur le faire-savoir, devint maître-nageur, opérant au camping Saint-Hubert puis à Rouen, tout en passant ses diplômes d’entraîneur…
PARMI LES TEMOINS D’UN ERIC BOISSIERE, NAGEUR ET ENTRAINEUR, SE DETACHE LA FIGURE DE FRANÇOIS HAUGUEL
Avant cela, à force de travail, Eric était devenu un élément solide, international B. Vincent LEROYER, un bon dossiste et futur représentant de la société Arena, qui nagea au Havre, puis à Rouen, se souvient qu’à ses débuts, « le nageur à battre, c’était Eric BOISSIERE. Il était extrêmement consciencieux, mais il savait faire la fête. Je me souviens qu’il était de ces soirées de nageurs qui allaient du 24 décembre au soir au 1er janvier au matin, et à l’issue desquelles Guy nous attendait de pied ferme au bord du bassin… »
Parmi les témoins d’un Eric BOISSIERE, nageur et entraîneur, se détache la figure de François HAUGUEL. Un mimétisme a rapproché François et Eric: ils étaient tous deux des héritiers; Eric avait pris la suite de son père comme entraîneur des Vikings de Rouen, et François HAUGUEL, architecte dans le civil, lui, avait pris la suite de son père, Roger, comme président du club des Vikings. Tous deux furent des héritiers qui surent faire prospérer le domaine. François, dans l’ombre de Guy et d’Eric, a beaucoup œuvré et donné de sa personne pour le renom du club et a aidé à enlever le morceau à plus d’une reprise, ainsi quand il mit son entregent au service de l’élévation des Vikings au titre de pôle espoir, puis de pôle France. Mais n’anticipons pas :
« J’avais quatre ans de plus que lui et je l’ai vu arriver à la piscine quand il s’est mis à nager, vers 1956, raconte HAUGUEL. Il nageait mal, au grand désespoir de son père, mais c’était un courageux. Il s’employait deux ou trois fois plus que les autres. Il a nagé énormément, et il a quand même fini international. Je crois qu’il a été un tel combattant, et qu’il a montré une telle ambition, afin de prouver sa valeur à son père, lequel l’engueulait parce que, disait-il, il « nageait le plus mal. »
« Au bout du compte, on a eu à l’époque un relais quatre nages de Normands qui comptait les trois Eric du club, BOISSIERE en dos (il se débrouillait bien dans ce style), DUPERRON et LELOUP.
« On sait moins qu’Eric a joué au water-polo pendant quelques années. Vers 35 ans, il a fait aussi du triathlon avec tout un groupe où je me trouvais.
« C’est Eric qui, de Rouen, lança l’aventure du relais quatre fois 100 mètres français » qui a été entièrement imputée, à tort, au Cercle des Nageurs de Marseille (même si le club phocéen joua ensuite un rôle fondamental). Dans l’année 2002-2003, Eric était le responsable du relais quatre fois 100 mètres, dont il entraînait deux éléments, Fabien GILOT et Julien SICOT, tandis que Romain BARNIER évoluait alors à Antibes et BOUSQUET à Auburn, aux USA.
« Aux championnats du monde de Barcelone, en août 2003, continue François HAUGUEL, ce relais à moitié rouennais et dont Eric était le responsable, enleva la médaille de bronze. » BOUSQUET, un relayeur phénoménal, qui terminait le parcours, s’élança en septième position, réussit 47s03, le deuxième 100 mètres lancé de l’histoire derrière un 47s02 de Pieter VAN DEN HOOGENBAND, remonta quatre places et plaça ses potes sur le podium : 3e.
« Il avait été un bosseur quand il nageait, il est resté bosseur comme entraîneur, conclut François HAUGUEL. Et il a fini par égaler le palmarès de son père grâce à son travail et à sa passion. » Ceci bien qu’il se soit fait régulièrement et systématiquement dépouiller de ses meilleurs éléments. « Quand Fabien GILOT est parti pour Marseille, Eric a eu une dent contre Romain BARNIER, mais ensuite il a admis que cela était un bien pour ce garçon.
« Je suis resté président du club pendant vingt ans, et on a travaillé ensemble. Il n’était pas facile de viser les ambitions suprêmes, parce que Rouen n’avait pas le tissu industriel pour rivaliser en termes d’avantages, appartements, bourses, etc., aux nageurs. A cela s’ajoutait qu’après des années avec le même entraîneur, les nageurs éprouvent le besoin de changer d’air ; Stephan CARON avait quitté Guy et est parti à Paris où il a pu nager au Racing et poursuivre ses études ; GILOT s’en est allé à Marseille. Et comme ce besoin de nouveauté, de changement, se faisait inévitablement sentir, GILOT, à Marseille, pour ne citer que lui, a changé plus tard d’entraîneur et quitté BARNIER pour un autre entraîneur du club, » Julien JACQUIER.
SES ULTIMES AMBITIONS: UN PÔLE FRANCE A ROUEN EN 2018 ET LE TITRE OLYMPIQUE DU 10 KILOMETRES POUR LOGAN FONTAINE EN 2020
Un autre témoin de l’aventure d’Eric, Guy DUPONT, avait été président de la Ligue de Normandie de natation. « Eric BOISSIERE, dit-il, c’était un grand monsieur, qui, à la suite de son père, fit des Vikings de Rouen le fleuron de la natation normande. Il laisse un vide énorme. Je l’ai côtoyé pendant trente ans, dont dix-sept où il fut mon délégué technique. Il fut proprement extraordinaire ; et quoique habité par une grande passion, il n’initia jamais la moindre polémique. »
Au plan humain, Eric avait les qualités sans les défauts de ces qualités. « C’est ensemble que nous avons travaillé à faire de Rouen un pôle espoirs et un pôle France. Il était à mes côtés quand j’allais démarcher les puissants, les décisionnaires normands. Sa fidélité était à toute épreuve, et quand je n’ai plus été président de la Ligue, il a continué de m’envoyer par SMS, après chaque rencontre, les résultats, qu’ils soient bons ou pas, de ses nageurs. Il était passionné, et aussi d’une totale honnêteté. Il avait une relation avec ses nageurs, un feeling, sans faire de bruit. Il ne fanfaronnait pas : sa vie, c’était la natation. Il se levait tôt le matin, à six heures, et se rendait à la piscine, « parce que, me disait-il, je veux être avec les gars. » Quand le pôle France de Rouen fut fermé après que ses derniers grands sprinters eurent rejoint Marseille, il me dit : « eh bien, on se remet au travail et on reconstruit tout ça. » D’ailleurs, on espérait bien, à coups de résultats, rouvrir un pôle France à Rouen, en 2018. En Normandie, le label de la natation, c’était lui, Eric, il avait ramené des dizaines de nageurs…Ce qui me navre, c’est qu’il avait réussi à conserver son travail pour entraîner jusqu’aux Jeux de Tokyo et qu’il n’a pu réaliser ce rêve. »
Mais à force de se faire dépouiller de ses nageurs, Eric s’est trouvé à court de sprinters. Il était en train de disparaître des écrans radar du haut niveau, de moins en moins de gens se souvenaient de son existence et l’on commençait à parler de lui au passé quand il trouva le moyen de se réinventer en entraîneur de longues distances…
APRES DAMIEN CATTIN-VIDAL, IL DECOUVRE LOGAN FONTAINE ET ENTEND L’EMMENER AU TITRE OLYMPIQUE DE TOKYO
« Cela a été un peu par hasard, m’a raconté Eric, voici un ou deux ans, au sujet de sa métamorphose ; quand, vers 2006-2008, ayant perdu à la suite Grégoire Mallet, Fabien Gilot, Xavier Trannoy, Diana Bui-Duyet, je me suis retrouvé avec un groupe de nageurs dont le meilleur élément était Damien CATTIN-VIDAL. Un demi-fondeur. Il venait d’obtenir du bronze sur 400 mètres quatre nages aux championnats de France. Très bon crawleur, ses progrès ont fait de lui un nageur de 1500 mètres très compétitif. Un jour, son ancien coach (et directeur de la piscine) de Sens, Frédéric ELTER-LAFFITTE, le fils de Jacques Laffitte, à Troyes, lui a demandé de nager un 5000 mètres pour le club, à Montargis. Damien détestait l’eau libre, – pour lui, c’était le 25 kilomètres, qui devait le repousser – et n’appréciait pas le 5000 mètres en piscine que je faisais faire à mes nageurs, chaque année, pour leur travail de distance. Je l’ai encouragé à nager pour son ancien club, cela me paraissait être un bon retour d’ascenseur, et il s’est qualifié pour les nationaux en battant deux spécialistes reconnus. Encouragé à continuer, il a nagé les France à Mimizan et a fini 3e du 10.000 mètres. Je n’y connaissais rien, et quand j’ai vu les autres entraîneurs amener du ravitaillement, je me suis dit, pas besoin, pour 10 kilomètres, et vers la fin il a connu un coup de moins bien. Dès lors, je me suis documenté… »
L’homme qui fabriquait des sprinteurs en piscine trouva ainsi la voie du large, ou plus exactement, en l’occurrence, du long, et il ne cessa de sortir par rafales de bons éléments eau libre avec la même régularité. Il ne fut pas du voyage à Kazan, où se tinrent les mondiaux 2015, parce qu’il n’y avait qualifié aucun de ses nageurs, Damien CATTIN-VIDAL étant blessé (double conflit des hanches, une traumatologie assez spécifiques du nageur de longues distances). Eric accompagna donc les jeunes aux championnats d’Europe juniors. Là, un de ses poulains, Logan FONTAINE, 16 ans, qu’en 2014, l’Aquatic Club Honfleurais lui avait confié, et qui, ayant marqué des progrès extraordinaires, avait remporta début juin les championnats de France cadets contre-la-montre et des 5 kilomètres (terminant 2e des seniors), chose jamais vue chez un cadet première année, gagna les 5 kilomètres des championnats d’Europe, à Tenero, en Suisse, où il nageait avec d’autres élèves de Boissière, Corentin RABIER, Valentin BERNARD et Claire LEMAIRE (championne de France juniors des 5 et des 25 kilomètres).
BOISSIERE lançait aussi Yann CORBEL, fils d’un autre nageur, Christian CORBEL ; David AUBRY, Marc-Antoine OLIVIER, médaillé olympique 2016 et mondial 2017, Antoine GOZDOWSKI étaient passés par les Vikings. En quelques années, BOISSIERE était devenu le grand pourvoyeur de la longue distance en équipe de France.
Le passage à l’eau libre ne s’est pas passé sans le genre de petites dérisions que les gens d’un milieu aiment lancer au nouvel immigrant. « Je l’ai vu arriver, raconte encore LEROYER, avec Damien CATTIN-VIDAL, et les gens du cru les charriaient, genre « dis-moi, comment tu vas faire sans les lignes d’eau », ou « est-ce que tu sauras trouver l’arrivée », mais il s’est avéré que Damien se repérait très bien dans l’eau. » On l’a dit, il enleva le bronze, dès son coup d’essai.
A LA VEILLE DE PARTIR, IL A EXPLIQUE QU’IL N’ETAIT PAS INTERESSE PAR LES FLEURS ET LES COURONNES, ET AVAIT SUGGERE UNE ACTION, UNE DOTATION, QUI POURRAIT AIDER LES NAGEURS D’EAU LIBRE.
Entré dans le grand bain, Eric eut tôt fait de se faire sa place. « Les coaches en déplacement vivent dans une sorte de concubinage en se partageant les chambres, plaisante Frédéric BARALE, qui fut généralement, ces deux années, son coturne. J’éprouve aujourd’hui un sentiment de tristesse. Je l’ai vu pour la dernière fois en octobre, Stéphane (LECAT) avait organisé une réunion. Eric en était. C’était un garçon discret. Il gagnait à être connu.. Il se caractérisait par sa motivation, ses qualités de concentration, et il était très apprécié. On discutait, et il avait des idées très arrêtées, et intéressantes, sur la vie. Il aimait les bonnes choses, par exemple. Il essayait de faire perdurer son action, et a proposé d’installer Damien CATTIN-VIDAL pour reprendre l’entraînement en son absence… A la veille de partir, il a expliqué qu’il n’était pas intéressé par les fleurs et les couronnes, et avait suggéré une action, une dotation, qui pourrait aider les nageurs d’eau libre.» C’était du Eric Boissière tout craché: le Viking avait imaginé de mourir utile! Ce lundi 12 février, Stéphane LECAT et Catherine GROJEAN discuteront des modalités de cette opération, au siège de la FFN. Cette « fondation » devrait utiliser le système pay pal…
Pour LEROYER comme pour tous ceux qui l’ont approché, Eric sortait de l’ordinaire parce qu’il ne plastronnait jamais : « il aurait pu avoir la grosse tête ; mais il restait humble en face de l’incertitude sportive.
« Il avait aussi un côté rocker, cheveux longs, bagues, un côté décalé qui le rendait très attachant. Il était devenu le doyen du bord des bassins ; il repérait les bons nageurs et faisait partie des coaches qui travaillaient bien…
« Il ne formait pas des tordus et des m’as-tu vu. Ses nageurs étaient intelligents et c’est un signe. Il était admiré par Stéphane LECAT, et cela montre quelque chose. Je ne l’ai jamais vu jaloux des résultats des autres ; Il avait l’œil et il appréciait
« Il a vécu plusieurs vies, et dans ce qu’il faisait, je ne vois que rigueur et exemplarité. »
A la mort de Guy BOISSIERE, Michel Rousseau me tint un propos qui me frappa : « Quand une personne meurt, on ne veut rappeler que des bonnes choses ; mais même en me forçant, il ne me vient que du bon de lui. » La formule va comme un gant pour son fils.
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Les obsèques d’Eric Boissière auront lieu ce mercredi 14 février 2018 à 17h00 au crématorium de Rouen – rue du Mesnil Gremichon. Suivant la volonté du défunt, pas de fleurs ni couronnes, mais des urnes seront à la disposition de ceux qui souhaiteront faire un don en faveur de l’Eau Libre de haut niveau.