Interview Camille Lacourt « Passer le flambeau à la jeune génération »

Lisez l’interview de la Fédération Française de Natation avec Camille Lacourt à la veille des Championnats de France 50m. Recueilli par Jonathan Cohen de la FFN.

Camille Lacourt, 32 ans, est un géant ! Par la taille (il culmine à deux mètres), mais surtout par le talent. Avec quatre couronnes mondiales, cinq titres continentaux et pléthores de récompenses nationales, le Narbonnais dispose de l’un des plus beaux palmarès de la natation française. Reste qu’il manquera toujours à ce compétiteur acharné une distinction olympique. C’est la raison pour laquelle il a décidé de clore sa carrière lors des championnats du monde de Budapest (23-30 juillet), histoire de boucler la boucle dans une ville qui l’a révélé aux yeux du monde en 2010 et d’effacer sa déconvenue des Jeux de Rio où, quatre ans après avoir échoué au pied du podium, il a dû à nouveau se « contenter » d’une cinquième place sur « son » 100 m dos.

Comment te sens-tu physiquement et mentalement ?

Je me sens bien, même si c’est assez compliqué de trouver le rythme pour allier natation, vie privée et projets de reconversion (sourire)… En venant à Paris, je savais que mon agenda serait chargé, mais je n’imaginais que ça le serait autant. J’ai beaucoup d’opportunités professionnelles et ça tombe bien puisque j’ai décidé de m’y consacrer pleinement cette année. J’espère surtout être fin prêt pour les championnats de France (Schiltigheim, 23-28 mai) et décrocher ma qualification pour les Mondiaux de Budapest sur 50 m dos (23-30 juillet).

Pourquoi tiens-tu tellement à achever ta carrière aux championnats du monde de Budapest ?

Avant les Jeux Olympiques de Rio, je l’envisageais déjà. Quand j’ai une idée en tête, j’aime la mener jusqu’au bout. C’est aussi une manière de boucler la boucle après mes premiers titres continentaux obtenus là-bas en 2010 (50 et 100 m dos et relais 4×100 m 4 nages, ndlr). J’aimerais aussi achever ma carrière sur une note plus positive que celle des Jeux Olympiques. Je n’ai pas vraiment apprécié les retombées concernant la natation. Je trouve que c’est un peu triste de clore les dix magnifiques années que vient de vivre la natation tricolore de cette manière. C’est également un moyen de passer le flambeau à la jeune génération.

Avec Jérémy Stravius, vous serez les « anciens » de l’équipe de France. Quel rôle entendez-vous jouer ?

Si les jeunes ont besoin de conseils, nous serons là pour les aider. Mais il me paraît important qu’ils puissent se réinventer et trouver leur propre ADN. Pour cela, ils peuvent s’inspirer de notre parcours, mais il convient surtout qu’ils s’assument et qu’ils aient confiance en leur potentiel. Ils ont longtemps évolué dans notre ombre et aujourd’hui, c’est leur tour d’occuper le devant de la scène. Ils vont devoir assumer.

Penses-tu qu’il leur sera difficile de reprendre le flambeau ?

C’est une magnifique page de la natation française qui est en train de se tourner. Notre génération a été exceptionnelle et je ne suis pas certain que l’on connaisse la même réussite dans les prochaines années. Mais nous arriverons toujours à gagner des médailles dans les compétitions internationales. Avant nous, il y a eu Solène Figues, Romain Barnier, Xavier Marchand en équipe de France et même s’ils n’ont pas eu les résultats de la dernière décennie, ils montaient régulièrement sur les podiums et me faisaient rêver devant ma télévision. Aujourd’hui, il y a Clément (Mignon), Mehdy (Metella) et Jordan (Pothain) qui sont en lice pour des podiums internationaux et il y a Charlotte (Bonnet) chez les filles qui a une carte à jouer. A eux de se réinventer et de reprendre le flambeau.

Après les Jeux Olympiques de Rio, tu as coupé quelques mois. Cela t’a-t-il été bénéfique ?

Après les Jeux de Londres en 2012, j’avais vraiment ressenti le besoin de couper avec la natation, parce que les regrets étaient très présents. Cette fois, la coupure était davantage liée à ma situation personnelle. J’ai emménagé à Paris en septembre afin de passer davantage de temps avec ma fille.

Comment as-tu vécu ta cinquième place au Brésil ?

Physiquement, je suis rentré de Rio dans de bonnes dispositions. J’ai vécu une année 2016 assez compliqué sur le plan personnel et je suis réellement devenu un homme. Désormais, je sais sur qui compter dans les moments difficiles. Mes amis et ma famille m’ont soutenu. Mon entraîneur, Julien Jacquier, a été très compréhensif et nous avons désormais une relation qui va au-delà de l’entraîneur-entraîné. Toutes ces personnes m’ont aidé à grandir et à surmonter des épreuves difficiles. Alors, évidemment que je suis déçu de ne pas avoir garni mon palmarès avec une médaille olympique, mais le chemin parcouru entre janvier et août était beau. C’est tout ce que je veux retenir.

Peux-tu essayer, à présent, de visualiser la chambre d’appel du 50 m dos des Mondiaux de Budapest. Nous sommes le 30 juillet 2017, il est 18h30, tu es en finale et tu t’apprêtes à disputer ta dernière course. Qu’est-ce qui te traverse l’esprit ?

Déjà, si je suis en finale, c’est la folie (rires)… Plus sérieusement, je vous le dirais à 18h40. Ce qui me traversera l’esprit, ce sera sans doute de profiter de ces moments et de gagner. Je déteste tellement la défaite que je ne me dirais pas que je suis chanceux d’être ici et que le simple fait de disputer la finale est une réussite. Le seul moyen pour que je profite pleinement de ce moment est de m’imposer. Mais avant cela, il y a bon nombre d’étapes à franchir. Je ne pense pas vivre la course avant et me laisser prendre par mon stress. Je serais simplement transcendé par l’événement.

Il est 18h40. Tu sors de l’eau pour la dernière fois dans la peau d’un nageur professionnel. Qui souhaites-tu remercier ?

Il y a énormément de gens à qui je pense et que j’ai envie de remercier en sortant de l’eau pour la dernière fois. Tous mes entraîneurs, ma famille, tous mes amis qui ont toujours été présents. Ils savent que c’est grâce à eux que j’en suis là. C’est pour cette raison que je suis un homme épanoui. Et ensuite, je les inviterai tous dans mon bar, Le Fidèle, que j’ai ouvert dans le VIème arrondissement de Paris, rue du sabot, pour faire la fête pendant un long moment.

Un bar ? C’est original comme reconversion.

Effectivement, il n’y a pas grand-chose de plus éloigné par rapport à ma carrière de nageur ! C’est un bar à cocktails dansant, entre le restaurant et la boîte de nuit. Je trouve que ça manque un peu à Paris. C’est dans un ancien théâtre, donc nous allons également faire en sorte d’inviter des groupes de jazz et de rock pour qu’ils jouent en live.

La reconversion génère parfois du stress chez les sportifs de haut niveau. Certains n’hésitent pas à parler de « petite mort ». Ça ne semble pas être ton cas.

J’ai anticipé ma reconversion. J’y pense depuis de nombreuses années et depuis septembre, je suis très investi. Je me sens serein. Il n’y aura pas de « petite mort », au contraire, ce sera plutôt une renaissance. J’ai ouvert un bar, je suis une formation pour intervenir lors de séminaires. Tout se passe bien, je travaille et je progresse. C’est pour cette raison que je n’ai pas peur de raccrocher le maillot. J’ai simplement envie de bien terminer ma carrière pour débuter ma nouvelle vie du bon pied.

Ne crains-tu pas que l’adrénaline des compétitions internationales te manque malgré tout ?

La natation, c’est une partie de ma vie qui aura été fantastique et je ne l’oublierai pas, mais de nouveaux horizons s’ouvrent à moi et ils sont tout aussi palpitants. Lorsque j’ai signé le bail de mon établissement et que je me suis endetté, je vous assure que j’ai ressenti de la pression et de l’adrénaline (sourire)… Ce stress, je le trouverai dans mes différentes activités, parce que j’aime les challenges et j’ai besoin de relever de nouveaux défis.

Souhaites-tu également rester proche des bassins ?

C’est effectivement ce que j’envisage. Au mois d’août, un stage de natation est organisé à Fontainebleau avec des enfants et je serai présent pour leur transmettre mes connaissances et leur expliquer que le plus important est de s’amuser dans sa pratique sportive. Quand j’étais petit, il y avait régulièrement des stages « Franck Esposito ». Je ne pouvais pas m’y rendre parce que c’était un peu loin de Font-Romeu, mais j’aurais adoré rencontrer un sportif pour qu’il me dise : « Régale-toi ! ». Si je peux permettre à des enfants de rêver en nageant avec eux, c’est génial.

Depuis quelques années, on voit au bord des bassins des entraîneurs comme Franck Esposito ou Romain Barnier qui ont été en équipe de France. Est-ce que dans quelques temps on verra des Fabien Gilot, Frédérick Bousquet ou Camille Lacourt endosser le costume d’entraîneur ?

En ce qui me concerne, c’est peu probable. Je trouve le métier d’entraîneur trop difficile. J’adore la natation, j’aime partager et essayer de faire évoluer mon sport, mais ne pas être acteur de son projet me paraît surhumain.

A contrario, tu exprimes régulièrement ton envie de devenir consultant.

Et je referai ma publicité pendant les championnats de France et du monde (rires)… J’aime trop le sport. Il m’a tellement donné. Il a fait de moi l’homme que je suis aujourd’hui et je n’ai pas l’impression d’être un mauvais bougre. J’ai envie de partager cette passion. Je serai toujours présent pour soutenir les nageurs et les encourager. J’ai vraiment envie de transmettre ma passion. Et même s’il y a un peu moins de Français en finale des grands championnats, on rêvera avec d’autres nageurs. C’est un sport qui mérite d’être connu.

Tu as d’ailleurs toujours paru à l’aise avec les médias. Est-ce naturel pour toi ?

J’ai disputé ma première finale mondiale à 24 ans. J’avais plus de plomb dans la tête qu’à 19 ans. Quand je suis revenu des championnats du monde de Budapest, en 2010, et que tout le monde disait que j’étais le plus beau, le plus fort, le gendre idéal, je n’ai pas du tout adhéré… Il fallait que je sache en jouer, mais que je continue à aligner les longueurs et à être entouré de mes vrais amis pour continuer à vivre mes rêves.

A l’instar de Laure ou de Florent Manaudou, tu es d’ailleurs un « people » à part entière. Est-ce que cela te dérange ?

Ce n’est pas forcément ce que je préfère, mais ça m’a aidé à obtenir des contrats publicitaires et à vivre des expériences extraordinaires. J’ai été égérie pour Chanel. Je le suis également pour Clarins. J’ai ma statue au musée Grévin. Tout cela est incroyable ! Si quelqu’un m’avait annoncé ça il y a dix ans, je n’y aurais jamais cru. J’ai beaucoup de chance. Je l’ai provoquée et je sais en profiter.

Ce statut te permet également de défendre des causes humanitaires. Est-ce important de mettre ta notoriété au service d’associations ?

J’aime à répéter que le mieux, lorsqu’on est connu, c’est de pouvoir donner le sourire à des gens sans rien faire. Par exemple, lorsqu’on me demande des photos ou des autographes, je vois partir les gens avec le sourire. C’est juste génial ! Ça me prend deux secondes et ça donne du bonheur. Quand je m’investis auprès des enfants, que ce soit pour la Nuit de l’Eau avec la Fédération Française de Natation et l’UNICEF ou l’association « Un sourire à la vie », c’est un plaisir. Alors oui, c’est important de pouvoir aider grâce à ma notoriété.

Tu fourmilles d’idées et de projets. Sais-tu qu’il n’y a que 24 heures dans une journée ?

(Rires)… Je ne sais pas si j’aurais assez de 24 heures pour réaliser tout ce que j’ai en tête, mais une chose est certaine, je n’aurais pas le temps de m’ennuyer.

Que peut-on te souhaiter pour la suite de ton parcours ?

Que tous mes projets se réalisent. Parmi ceux-ci, il y a celui d’être heureux. Ça me suffira amplement.

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